HAIG, Matt : Les Radley
On le sait, la mode est aux vampires. On en déguste à toutes les sauces. Vampire méchant, vampire repentis vampire obsédé. Mais surtout et presque toujours, vampire amoureux, ce qui ne lui réussit pas (ou ne réussit pas à ses victimes…). C’est à se demander si Bettelheim n’aurait pas pu nous pondre un petit livre de psychanalyse dessus… En tout cas, le vampire est un être hors norme provoquant à la fois peur et envie qui ne peut donc se fondre dans la masse. Twilight nous en fait la démonstration, tout en mièvrerie adolescente, pleine des hormones qui travaillent ce public. True Blood n’est pas différent, seulement plus adulte… The Gates (que Sof nous a chroniqué ici) a aussi pour principale thématique l’intégration sociale d’êtres marginaux. On dirait bien que, sous toutes ses formes, le vampire aujourd’hui nous sert à nous poser certains types de questions sur la vie en communauté. Bien sûr, les auteurs étant bien souvent américains, c’est une problématique qui semble prégnante là-bas… Les Radleys, publié en octobre chez Albin Michel décline cette thématique de manière intéressante : les vampires façon desperate housewives.
Bishopthorpe est une banlieue de Grande Bretagne tout ce qu’il y a de plus ordinaire : petits gazons taillés jouxtant de beaux petit pavillons dans lesquels habitent de petits bourgeois fuyant la folie de la ville. Tranquillité et convivialité sont les maîtres mots de cette bourgade. Les Radleys ont choisi d’y faire leur vie et chacun s’accorde à dire que ce sont de bons voisins : Peter est médecin, sa femme, hélène, cuisine très bien et fait partie du club de lecture, Clara, la plus jeune de leurs enfants, milite pour les droits des animaux et ne mange plus de viande ; seul Rowan, le grand frère romantique, n’arrive pas à se faire d’ami, trop occupé à se lamenter sur l’injustice de l’existence. Pas de quoi attirer l’attention donc sur ce phalanstère. Et c’est bien ce qu’ils veulent, car depuis près de 20 ans, Peter et Hélène tentent de vivre une vie normale malgré les difficultés que cela comporte pour des vampires… En effet, conscients de l’addiction sévère dont ils sont atteints, ils ont décidé de devenir abstinent et de ne plus boire de sang. Mais tout va devenir plus compliqué lorsque Clara (qui, je vous le rappelle, est devenue végétarienne), inconsciente (comme son frère) de sa lourde hérédité, va être atteinte d’une SSI (soif de sang irrépressible) et tuer un garçon trop entreprenant…
Ce roman sera certainement boudé par les puristes car le mythe du vampire est malmené. Ce n’est pas que l’auteur ne s’y connaisse pas mais il tord à sa guise tous les poncifs pour nous servir une comédie grinçante sur les dysfonctionnements familiaux, sur l’addiction et au final, sur la liberté. La mythologie qu’il crée est pleine de clins d’œil et l’on s’amuse de sa reconstruction historique des figures du vampire. Incroyablement puissant, ses pouvoirs sont sans limites ou presque, mais il reste une sorte de drogué. C’est pourquoi une branche de cette communauté prône l’abstinence tandis que d’autres se fédèrent afin de négocier un droit de chasse auprès des autorités humaines. Cette liberté (toujours respectueuse) de l'auteur m’a beaucoup plu. Elle permet de refonder une mythologie mais surtout de servir le cœur du livre qui, à mon sens, n’est pas vraiment le vampirisme.
Matt Haig utilise ce mythe afin de nous parler de tout à fait autre chose : la crise de la quarantaine, les dysfonctionnements familiaux, l’adolescence, l’adultère, enfin bref, pour parler d’une classe moyenne qui devrait tout avoir pour être heureuse mais qui n’y arrive pas… Il me semble que cela fonctionne très bien. On rit de leurs ennuis, on suit avec avidité le thriller, mais on se rend compte assez rapidement que ce dont parle l’auteur, c’est de nous. Au final, les choix qu’ils auront à faire seront les petites concessions que chacun doit accepter au jour le jour. Mais plane pour eux (et pour nous en miroir) toujours cette possibilité : et si on laissait tomber ? Ne serait-ce pas la liberté d’agir sans entrave morale, familiale, d’agir selon sa propre complexion, sa propre nature ?
Au final, pour moi Les Radley a été un bon moment. Certes l’auteur sauve toujours la morale et ne pousse donc pas très loin la critique, mais on se laisse happer par son écriture fluide et l’humour qui s’en dégage. Le côté polar n’est pas en reste et contribue à l’accroche malgré quelques longueurs. Je vous conseille donc d’y jeter un œil car c’est un véritable rafraîchissement de le lire dans cette vague un peu redondante d’œuvres vampiriques.
StepH