BLAYLOCK, James : CONTES DE L'ORIEL

Les contes de l'Oriel de James Blaylock constituent une trilogie dont les histoires se situent autour du fleuve imaginaire l'Oriel : Le Vaisseau Elfique, le Nain qui Disparaissait et Le Géant de Pierre – dans cet ordre. Les deux premiers tomes nous narrent les aventures de Jonathan Bing, fromager de Havreville, qui va être poussé dans des aventures rocambolesques et loufoques de par le monde lointain, lui qui n'aime rien tant que lire et se prélasser au coin de sa cheminée en attendant que son fromage ait fini de se faire. Las, d'étranges disparitions et un enchaînement incongru de circonstances vont faire de lui le messager de sa bourgade, porteur des marchandises de ses concitoyens vers la lointaine et grande ville de Maremne, en compagnie de son placide chien Achab et de l'excentrique professeur Wurzle. En chemin, il sera confronté, entre autres, à des trolls, des gnomes et à un vilain nain qui fait sortir des squelettes d'un feu magique ; adversaires qu'il vaincra au cours de combats absolument surréalistes remportés grâce au secours de tromblons volants, de barils de cornichons et autres épissoires, et au cours desquels il recevra l'aide d'un magicien au chapeau gigantesque, d'un aventurier retors pas toujours digne de confiance et d'un groupe d'elfes-poètes mal embouchés ; au final, si le ton léger et surréaliste du livre peut vous emballer, le goût débordant de l'auteur pour le laisser-vivre se fait un peu trop ressentir et les péripéties, soit absurdes soit risibles, sont parfois de trop, donnant au livre un aspect un poil longuet que l'on peut regretter. Personnellement toutefois, je me suis laissé charmer par l'ambiance vieillotte de cette histoire que certains qualifient, non sans raison, de « fantasy post-tolkiennienne classique», par ses personnages frais et naïfs, par son cours inhabituel et par son verbe bien placé : il faut dire que pour ma part, je ne raffole pas des gros bras que l'on nous sert si fréquemment dans les romans de fantasy, et que la prise en compte systématique du facteur hasard dans la narration m'a complètement convaincu.

Le deuxième tome remet en scène les mêmes personnages, et jusqu'au même vilain ; cette fois, poussés dans un monde parallèle, Jonathan et le professeur vont partir à la recherche de l'un des elfes du Vaisseau Elfique, enlevé par le toujours aussi vilain nain. L'aide de Milo le magicien et du célèbre aventurier Théophile Escargot leur sera précieuse pour mener à bien blablabla... Bref, c'est la même soupe qui nous est resservie, dans un registre un poil plus équilibré cette fois, et l'amateur que j'ai été s'est encore laissé convaincre, pour son plus grand plaisir. Blaylock pousse un peu plus loin l'exploration de cet univers souvent bizarroïde et de ses personnages tirés par les cheveux ; au menu, l'assaut d'un bateau par des fantômes sans tête, un capitaine qui fait couler le même café depuis treize ans, un fabuleux trésor qui ne supporte pas la lumière du jour, un baron roi de la fraise, un globe de cristal particulièrement étrange dans lequel on peut s'enfuir et passer dans d'autres mondes, et encore des gnomes, des sorcières et le vilain nain sur lequel il faudra bien finir par mettre la main. J'ai beaucoup aimé : un livre qui nous rappelle aussi combien il est important de savoir prendre le temps.

Mais la vérité sur cette trilogie, c'est que le meilleur est pour la fin : en ce qui me concerne, il se trouve même que le hasard a fait que je l'ai commencée par là. Le Géant de Pierre est en réalité un préquel, qui nous raconte comment le fameux Théophile Escargot, personnage particulièrement sympathique que l'on croise à plusieurs reprises dans Le Vaisseau Elfique et Le Nain qui Disparaissait, est devenu, de tranquille père de famille de Havreville, le flamboyant aventurier que l'on connaît, après s'être fait mettre hors de chez lui par sa femme pour avoir volé une fois de trop une part de tarte aux pommes. Cette fois encore, un nain lui colle aux basques, et à la poursuite de la belle Léna, il va se voir confronté à mille dangers plus abracadabrantesques les uns que les autres. Plus sérieux, voire parfois sombre, celui-ci figure non loin de la position de tête dans ma bibliothèque idéale personnelle : la fantaisie de l'auteur, admirateur avoué de Lewis Caroll, ne disparaît pas, mais elle se voit transfigurée en teintant ses trouvailles d'un arrière-goût de mystère pas déplaisant ; lorsque, passant par un trou au fond de la mer, il finit par remonter dans un autre monde, ou bien lorsqu'il échappe de justesse de finir dans le brouet lors du sabbat des sorcières, ou encore prenant part à une bataille de fin du monde en compagnie de montagnes animées – les fameux « géants de pierre » – ou d'elfes descendus de la lune, on s'attache définitivement à ce personnage incroyable et plein de ressources, se demandant par la suite comment un type aussi honnête a pu se tailler, dans l'interstice de temps qui sépare le Géant de pierre du Vaisseau Elfique, une telle réputation de fieffé voleur sans remords ni vergogne. La conclusion est que Théophile Escargot est tout simplement brillant, comme le roman qui tisse le fil de ses premières aventures. Mené sur un rythme plus soutenu, il quitte le cours tranquille de l'Oriel pour nous mener droit vers les contrées du rêve, lors d'un voyage dont on revient changé, comme après une rencontre décisive.

Je conseillerais donc à tout le monde de faire comme moi ici : de commencer par la fin, qui est en fait le début, afin de mieux apprécier la tranquillité sereine des deux premiers tomes, lorsque vous serez devenus familiers de l'univers particulièrement particulier de James Blaylock. Vous pouvez aussi faire autrement, mais alors, je ne vous assure pas non plus du même résultat.

Zolg.