GAUDE, Laurent : La Porte des Enfers.
Naples, 1980. Un jeune couple d'italiens, Matteo et Giuliana, vivent par un terrible matin un terrible choc : leur enfant de quatre ans, Pippo, meurt, tué par une balle perdue dans les bras de son père qui tentait de le protéger. En allant à l'école. De là, l'un et l'autre vont vivre une douloureuse descente aux enfers, et s'éloigner jusqu'à se perdre. Mais là où l'une finit par fuir l'insupportable, l'autre, presque par hasard, découvre un moyen de réparer l'innommable : il va descendre aux enfers chercher son enfant.
Je ne peux en dire davantage à propos du scénario...
Écrit dans un style sobre et remarquable (on sent que Laurent Gaudé, qui vient du théâtre, n'a pas besoin de mille mots et détours pour atteindre son but), le roman possède de multiples facettes que l'on découvre avec bonheur tout au long des pages : luxuriant chant des déshérités, peinture incroyablement juste des relations qui lient un couple fondant une famille, touchante description du désespoir d'un homme qui a perdu son enfant et n'a rien pu y faire ; enfin, évocation obscure d'une descente aux enfers, au sens figuré comme au sens propre. De chapitre en chapitre, le fil de la narration oscille entre les deux périodes cruciales de l'histoire, à savoir les années 1980 et 2002, et à chaque changement on perçoit presque les modifications de la lumière, comme si on voyait deux films au cinéma. Cela donne un déroulement chronologique inédit, d'autant qu'il ne s'agît pas là que d'un exercice de style et que Gaudé s'en sert fort habilement pour nous faire plonger au cœur (le mot prend ici tout son sens) de l'histoire. A d'autres moments, on est plongé dans une atmosphère hypnotique et sombre, haletant dans le sillage des personnages, dont la psychologie est parfaitement ciselée. La Porte des Enfers fascine et vous guide agréablement le long de son fil, tout autant qu'il vous tord les entrailles, impressionnant de justesse à propos des douleurs et des espoirs de ses personnages ; et dans le fond, si on se rend bien compte (après coup, en fait) que les faits sont aussi l'occasion de laisser le temps à l'auteur de dire ce qu'il a à dire à propos des choses du monde, force est de reconnaître qu'il conduit remarquablement bien sa barque, car on en ressort parfaitement ravi, et sans avoir rien vu passer.
En vérité, que dire de plus, si ce n'est que c'est excellent : sobre et maîtrisé. On pourrait regretter (un comble !) une absence de longueurs, mais en même temps, Gaudé nous raconte une histoire et ne se lance pas dans un long traité déguisé sur la vie et la mort, sur l'amour filial, sur toutes ces thématiques qui traversent le roman : et c'est tant mieux.
Pour ma part, je vais m'inspirer de lui et en faire autant, clôturant ici une critique qui pourrait par ailleurs traîner en longueur, quand tout se résume à : lisez-le, c'est vraiment terrible. Nous avons, en la personne de l'auteur, un auteur qui n'est pas, loin s'en faut, un spécialiste de la littérature fantastique, mais qui, à mon avis, en maîtrise parfaitement les ressorts et le sens, en se servant superbement à dessein des images oniriques générées par le genre pour faire apparaître sans rien en dire les formidables imperfections humaines et la dureté du monde. Bravo.
Zolg