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26 mai 2013

NIOGRET, Justine : Gueule de truie.

Gueule de TruieJe voulais commencer cet article en vous disant, pour la troisième fois, tout le bien que je pensais de cet auteur qui, grâce à Chien du heaume et Mordre le bouclier, est devenu un grand nom de la SFFF. Mais après une rapide visite de la concurrence, il apparaît que démarrer son article ainsi est devenu une platitude, tout le monde s'accordant sur la virtuosité de l'auteur ! Un bon chapeau introductif aurait donc plus insisté sur la petite infidélité que Justine a fait à Mnemos avec les jeunes éditions Critic, vous présentant ces libraires rennais expérimentés et engagés qui se sont lancés en 2009 dans le dur métier d'éditeur avec, jusqu'à présent, de très beaux textes, reprenant notamment une partie du catalogue Rivière blanche. Un éditeur à surveiller dont on va juger ici l'efficacité sur ce texte !

Le flache a détruit le monde. Cependant tout le monde n'a pas eu la chance de disparaître. Sur le cadavre pourrissant d'une terre stérile grouille encore quelques parasites humains qui survivent sans plus savoir pourquoi. Baiser, manger, persister à vivre, sans but. Gueule de truie les hait, lui, la main des pères de l'église, éduqué non pour réfléchir mais pour finir le travail de Dieu. Il extermine donc la vermine, refoulant tout sentiment, toute pulsion. Ne reste que la mission, pure : détruire ce qui vaut moins que lui. Mais une rencontre changera la routine, le forcera à partir sur la route, à la recherche de quelque chose. Quoi ? Il devra aussi le découvrir. Commence une odyssée violente qui le mènera au bout du monde mais aussi à la rencontre de lui-même. Et ce ne sera pas beau...

Dépressifs, passez votre chemin. Gueule de truie ne vous remontera pas le moral. La fin du monde à la Niogret n'est pas le lieu, tout américain, du renouveau et de l'héroïsme. La fin du monde, c'est moche, l'homme est destructeur. En ce sens, On ne peut économiser la comparaison avec la Route de McCarthy. Qu'y a-t-il après l'Armageddon ? Rien que plus de mort, plus de violence, une inertie qui vise à conclure ce qui a été entamé. Pourtant, on ne peut non plus s'en contenter car ce roman est bien plus psychologique et métaphysique que sa référence. En effet, si la première partie, physique, dure, esquisse le moignon de vie qui perdure sur le corps en putréfaction du monde, profitant de l'occasion pour nous présenter le héros sans pitié, la seconde partie bascule dans le symbolique, le totémique, le pulsionnel, tout aussi violent et terrible, nous évoquant la possibilité d'une rédemption qui ne viendra peut-être pas. Complexe et surprenant, mais certains lecteurs resteront sans doute à la porte.

Une fois la comparaison évacuée, on peut maintenant parler de ce qui fait la particularité des œuvres de Justine Niogret.

Tout d'abord, je pense que l'on peut parler de rapport au corps. Les personnages de ses romans n'ont pas de nom, pas de visage, ils ont été défigurés par la vie reléguant leur corps à une machine de chair, un outil, qui finit toujours par dépérir. Il fait d'ailleurs partie de l'extérieur, du monde, qui n'est que crasse et violence. La psyché, traumatisée, tente de s'affranchir de la corporéité. Le peut-elle vraiment ? Là se trouve toute la question. Ici, Gueule de truie exècre le monde et ce qui l'en relie. Il porte un masque et se mutile pour se préserver de pulsions. Ainsi croit-il pouvoir contrôler l'extérieur, par la violence, préservant la pureté de sa psyché. Mais une rencontre le poussera à entrer en contact avec ce dehors qu'il abhorre, mêlant par la même occasion dans le récit le dedans et le dehors, le physique et le métaphysique. A mon sens, ce texte, bien plus complexe que ses précédents, pousse les questionnements de Justine Niogret à leurs paroxysmes, quitte à en devenir un peu hermétique. Pourtant on ne peut que rester hanté par cette question, brillamment exposée et si actuelle dans notre société. Et par peur de devenir moi-même un peu abscons, je ne vous parlerai pas de la notion de charnière de la société...

La deuxième particularité de l'auteur réside dans son écriture. Unique, âpre, lourde, cela faisait bien longtemps que je n'avais pas pris de plaisir à seulement lire Tout le texte, sans penser à l'urgence de lire (problème que je crois commun aux libraires boulimiques qui, face à l'énorme somme de nouveautés, ont peur de louper la perle). Si l'on retrouve ici la patte de l'auteure, elle sait s'adapter à l'exigence de l’œuvre avec des phrases courte, sèches comme des coups de trique. La forme entièrement au service du fond. Si ses deux premiers romans étaient fabuleux, elle gagne encore en finesse et en talent.

Lire Gueule de truie, c'est d'abord une expérience littéraire forte, sensuelle, violente. Justine Niogret ne fait pas partie des auteurs qui font des compromis pour le succès. Et je l'en remercie ! Ce troisième roman publié confirme le talent d'écriture de l'auteur avec un roman post apo métaphysique qui déstabilisera certains mais dont l'ambition ravira les lecteurs exigeants. Si vous portez McCarthy aux nues, vous ne pourrez que vous délecter des questions que soulèverons Gueule de truie... Mais attention, une fois ouverte, la boite de Pandore de ne peut être refermée...

StepH

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