CLAVEL, Fabien : L'Evangile Cannibale.
Je vous l'avais dit, ce début d'année sera, pour le blog, sous le signe des Indés de l'Imaginaire. Pour être exhaustif, après Mnémos, Les Moutons Électriques, c'est au tour des éditions Actusf de passer à la moulinette avec un auteur français plutôt connu (au moins des vieux rôlistes puisqu'il a participé à la revue Casus Belli et contribué à Nephilim, jeu de rôle mythique) : Fabien Clavel. Il nous sert ici un court roman sur les zombies. Encore, me direz-vous, mais où est l'ambition littéraire des Indés dont tu nous avais parlé ? De belles phrases vides de sens ? Non, mais patientez un instant...
Mat est un vieux con de 90 ans. Il l'assume plutôt bien, lui qui a été abandonné dans un mouroir par une fille hystérique. Tatie Danièle n'était pas une stratège. Lui, il érige la méchanceté au rang d'art. Voudrait-on le pousser vers le cercueil à grands coups de médocs et de procédés psychologiques infantilisant ? Ils se fatigueront bien avant lui. Il les enterrera tous, infirmières et colocataires d'infortunes ! Il les déteste d'ailleurs tous. Ces autres vieux le débectent sans doute encore plus, à baver, se pisser dessus, oublier leurs propres noms. Proches de la fin, ceux-là. Enfin, bon, il y a bien Maglia, la doyenne, qui les rassemble tous, malgré son Alzheimer. C'est d'ailleurs elle qui les préviendra de l'apocalypse, elle qui les fera se barricader pour éviter la mort, qui attisera la flamme dans leurs vieux corps déjà presque raidis par la Grande Faucheuse. Commence alors une course contre la mort, un road movie de croulants dans un Paris futur dont Mat se fera le témoin de mauvaise foi...
Si je vous ai bien pitché le roman, vous aurez compris que ce texte n'est pas vraiment sérieux, présentant des vieux luttant de toutes leurs forces pour échapper aux zombies, duel de décomposition ! Somme toute une pépite d'humour noir, décalé pour un auteur qui s'y connaît question pastiche (Les Légions Dangereuses). Et c'était bien mon impression, au début... Tout commence de manière plutôt amusante avec un vieil aigri qui présente la fin de vie de manière mordante. On s'amuse pendant qu'il dénonce une société qui hait ses vieux et cherche à oublier que l'homme a une fin, pas toujours glorieuse. C'est peu ragoutant, c'est direct mais on rit, attendant avec envie ce match entre vieux et morts, presque au coude à coude question vitesse de déplacement. Ce ton de comédie trash est renforcé par le style parlé que l'auteur adopte, proposant une focalisation interne très subjective puisqu'il s'agit du témoignage oral de Mat. On acquiesce presque aux théories du complot anti-vieux, s'insurgeant contre cette société avide d'immortalité et d'esthétisme. On comprend bien vite ce qui risque de fonder le mythe du zombie pour ce livre. Nous voici donc acquis à la cause de cet insupportable connard. Nous sommes mûrs pour la seconde partie du roman...
On passe donc du bon temps, à écouter le vieux nous décrire la survie d'un groupe d'éclopés en plein Paris, remplaçant les motos par des fauteuils roulants et les flingues par des perceuses et autres tournevis. La joyeuse bande fait peine à voir et l'on sait que tous n'en sortiront pas indemnes. Bref on lit un bon roman de zombie humoristique. Une fois bien confortablement établi dans notre roman, tout change. Le ton reste le même mais le contenu part en sucette... Comment a-t-on pu suivre ses fous en rigolant ? Tout devient glauque et le questionnement se fait différent. Je ne veux pas trop en raconter mais les âmes sensibles pourront avoir le cœur au bord des lèvres...
Je dois avouer que Fabien Clavel est fortiche question montage de scénario! Je ne m'y attendais pas du tout ! Ça aurait pu être deux œuvres contiguës mais l'auteur réussi le tour de force de nous imposer une nouvelle lecture de la première partie du roman à l'aune de la seconde. Tout prend un sens différent. Très fort ! Dés lors, on se surprend même à démêler les thèmes qui sous-tendent le texte. Vieillesse, désir d'immortalité, folie, je ne vous donne que les plus évidents, à vous de chercher le sens. Quoiqu'il en soit, le fond est aussi riche que la forme. D'ailleurs, pour la petite histoire, l’Évangile Cannibale s'inspire de celui de Matthieu.
En bref et pour résumer, l'Evangile Cannibale est une Farce Zombiesque remplie d'humour noir qui oppose deux catégories de non-morts. Si on rit de bon cœur au départ, appréciant la répartie d'un vieux qui ferait passer Tatie Danièle pour un ange, tout finit par s'assombrir fortement et le roman se transforme bien vite en une œuvre d'horreur psychologique. Fabien Clavel maîtrise son texte parfaitement et nous procure une bien vive sensation de terreur très référencée et au questionnement sociologique et métaphorique bienvenue (et propre au genre). Une œuvre à lire donc mais qui ne plaira pas aux plus sensibles !
StepH