LOVECRAFT, Howard Philips :La quête onirique de Kadath L'inconnue
Randolph Carter – le fameux, le légendaire Randolph Carter me dira-t-on peut-être... *– se met un beau jour ou une belle nuit en quête d'une cité aperçue en rêve, dans un monde tout à fait onirique que l'on va découvrir en suivant sa trace ; une cité dont même lui, rêveur chevronné, n'a jamais entendu parler. C'est dire. Son chemin, comprend-il, devra passer par Kadath, la cité perchée des dieux, que personne n'a jamais vue jusque-là.
Pour commencer son voyage, Carter n'a qu'à descendre les sept cent marches qui le mèneront aux « prêtres barbus de Nasht et Kaman-Thah, dont le temple souterrain s'étend non loin du monde éveillé et au milieu duquel se dresse un pilier de feu » ; tout un programme, une broutille en vérité. En musique, on dit que cela commence « in media res », je crois – au milieu de la chose. Je n'aurais pas dit mieux. Sans avertissement, nous voici dès les premières lignes plongés dans le songeux univers bâti par Lovecraft, sans autre justification ; on n'en saura pas plus sur Randolph Carter, qui il est, d'où il vient, même si quelques indices seront parsemés au long du livre ; seul son nom, perdu et étrangement discordant au milieu des Zin, Shantak Barzai-le-sage et autres Nyarlathotep, évoque une éventuelle parenté avec notre monde. Il faut dire, La Quête Onirique... ferait partie d'un « cycle » plus long, que l'on trouve en intégralité dans le recueil Démons et merveilles, (« un rapport avec la chanson ? » - je pourrais guère vous le dire**) et qui narre les aventures dudit Randolph Carter : ceci explique peut-être cela, mais pour ma part, je l'ai point lu *** ; et quoi qu'il en soit, les aventures du bonhomme le mèneront ici d'une région à l'autre du pays des rêves, où il aura affaire à d'innommables créatures et nouera des alliances avec des chats, des goules – dont « celle qui avait été autrefois l'artiste Arthur Pickman de Boston » – pour un périple parfaitement fantaisiste et presque léger, loin des habituels cauchemars lovecraftiens, bien que l'on y retrouve quelques-uns de ses thèmes de prédilection.
Mené tambour battant, dans un style bourré des habituels épithètes de l'auteur (mais sans jamais tomber non plus dans le soporifique), La Quête Onirique de Kadath l'Inconnue est un véritable enchantement où l'on retrouve et où l'on goutte, grâce à une plume incroyablement efficace, la substance presque intacte des rêves et leur logique propre, tout en conservant cohérence et fil narratif. Tout d'un bloc (pas la moindre trace d'un quelconque dialogue, de chapitres, à peine des paragraphes), le texte semble nous prélever hors de la réalité à un moment de notre vie pour nous y ramener, presque inchangés, à la fin du voyage. La faible épaisseur du roman aide à renforcer l'impression, qui ne tiendrait pas, pensé-je, bien plus loin que les quelques cent cinquante pages imprimées là.
Au final, entre bois enchantés, mers lunaires, vins hypnotiques, faméliques
de la nuit ou visages divins gravés dans la pierre – et même quelques héroïques
batailles ; j'ai parfois cru lire du Tolkien – mille images restent en tête une
fois le livre refermé. On ne saurait que trop le conseiller à ceux qui
voudraient aller à la rencontre d'un auteur dont les louanges sont souvent
chantées, mais qui est je crois, de nos jours, peut-être peu lu du fait d'un
univers parfois considéré comme trop âpre, et de son côté « ancêtre »
qui peut rebuter certains.
Zolg
*C't une blague, mais c'est aussi parce que je suis pas spécialiste de Lovecraft non plus, alors...
** Car oui, « Démons et Merveilles » est aussi le titre d'une chanson de Jacques Prévert. Jacques Prévert aurait-il lu Lovecraft ? Ce dernier était-il déjà traduit à l'époque où la chanson a été écrite ? Si un musicologue pouvait nous répondre, ce serait fameux je crois.
***J'ai appris ça par hasard, quand je rédigeais la présente notice... Comme quoi, quand je dis que je suis pas spécialiste de Lovecraft !